Condor Café Forum

Version complète : Aile dans Aile avec Marcel Reine - part 3
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Suite et fin :

   "Le voyage devait d'ailleurs très bien se terminer une demi heure plus tard, lorsque nous nous posâmes au Cap Juby.
   Je touchais le sol le premier pour pouvoir éventuellement porter secours à mon camarade handicapé par son pneu à plat. Mes bougies s'étaient peu à peu décrassées, mais il était tout de même bon que j'arrive, car les vibrations du départ avaient occasionné une assez sérieuse fuite au radiateur.
   L'atterrissage de Reine fut sans histoire. Il le termina d'une manière burlesque par un cheval de bois qui l'immobilisa au sommet d'un monticule de sable.
   les mécaniciens avaient terminé, le matin même, leur dernière bouteille de vin, et la seule ombre sur notre gaieté retrouvée venait de la perspective de n'absorber que des conserves et de l'eau pendant quatre jours. Heureusement que Marchal avait des intelligences dans le fortin espagnol. Avec beaucoup de diplomatie et après une longue tractation dans laquelle une collection importante de "La Vie Parisienne" pesa d'un poids décisif, nous eûmes, quand même, la joie de caresser l'osier d'une bonbonne. Nous pûmes le soir même, trinquer avec un vin noir, dont le goût évoquait des escales parfumées d'orangeraies et de friture de sardines.
   Le lendemain, en fin de matinée, nous échangions de chaleureuses poignées de main avec nos deux équipiers indigènes. Ils arrivaient, la barbe peut-être poussiéreuse, mais l'oeil vif et le sourire illuminant leur masque à peine plus buriné, les pieds un peu écorchés, mais le menton fier et le poignard serré haut à la ceinture. Avant de les laisser gagner leur tente, nous les invitâmes à croquer des biscuits en buvant du thé. Comme nous insistions pour savoir comment s'était déroulé leur voyage, Abdalla finit par nous rapporter comme un détail sans importance, qu'ils avaient été obligés de parcourir une quinzaine de kilomètres supplémentaires. En effet, une heure après avoir quitté la plage, ils avaient dû se joindre à des chameliers qui descendaient dans le Sud. Cela s'était d'abord bien passé, puis nos braves amis avaient été contraints de ramener les caravaniers à l'endroit où nous avions atterri. Là, leurs indésirables compagnons avaient naturellement dédaigné les boissons défendues parce qu'alcoolisées, mais, contrairement à ce qu'on pourrait attendre d'indigènes privés de  verdure, ils s'étaient amusés à disperser deux sacs de légumes aux quatre vents; ils avaient joué au football avec les choux!
   Dans leur ample djellaba bleu de nuit, installés entre le phono et des images de pin-up clouées au mur, nos interprètes détonnaient. Ils sentaient le poivre , le thym et la liberté. Ces vingt-quatre heures de solitude dans le désert avaient comme ravivé leur noblesse naturelle. Jamais il ne m'était apparu plus choquant que ces Rois Mages puissent être prosaïquement salariés."