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Version complète : La première Ligne
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"La première Ligne" est le titre du chapitre II du livre "DANS LE VENT DES HELICES" écrit par Didier Daurat et édité aux Éditions du Seuil en 1956.

A quelques jours du lancement du "Raid Saint-Exupéry" j'éprouve l'envie de vous faire entrer dans l'Histoire de cette fabuleuse aventure aérienne que fut "LA LIGNE", du moins vous en faire connaître, pour l'instant au moins, sa genèse et ses premiers pas.

Voici donc de la main de Didier Daurat le récit de cette aventure :
    "Massimi m'avait souvent parlé de son ami Latécoère. Amateurs de livres l'un et l'autre, ils s'étaient connus sur les quais de Paris où ils déambulaient, le premier par hasard, le second à la recherche d'ouvrages sur Napoléon auquel il vouait une grande admiration. Ainsi, l'idée de la Ligne naquit sur les bords de la Seine, au hasard d'une amitié quelque peu paradoxale. Massimi apportait le sens de la grandeur, le gout des aventures hors séries et une véritable vocation d'ambassadeur ; Latécoère, outre ses usines, fournissait l'impulsion d'une intelligence toujours en éveil et un esprit d'entreprise obstiné.
Il sortait de l'Ecole Centrale et avait repris, à la mort de son père, la scierie mécanique et l'atelier de construction de wagons que ce dernier avait fondé, dès 1872, à Bagnères-de-Bigorre. Encouragé par sa mère, il avait développé l'affaire et installé successivement à Toulouse, une fonderie et forge au Pont-des-Demoiselles, et d'importants ateliers de matériel roulant à Montaudran, en bordure de la voie ferrée menant à Narbonne. La guerre donna un élan supplémentaire à ses activités et amena Pierre Latécoère à s'intéresser directement à l'aviation. En effet, les usines de Montaudran furent chargées de r&aliser un très fort contingent de "Salmons". Passionné de techniques nouvelles, et entretenu dans sa foi aéronautique par Massimi, l'industriel avait mis sur pied, pendant la guerre, un projet ambitieux. les deux hommes se retrouvaient à l'occasion des permissions de détente de Massimi et jetaient sur le papier les grandes lignes de leur plan. Selon eux, dès la paix retrouvée, l'avion devait se consacrer à son rôle essentiel : faciliter les relations et les échanges entre les peuples.
    
Le 15 mai 1918, Latécoère exposa clairement ses desseins. Il s'agissait de réaliser des liaisons postales aériennes à grande distance et avec horaires rigoureux. Pour la première fois, le mot de "ligne" fut prononcé. Il s'appliquait jusqu'alors au trait qui indique, sur un compas, l'axe de direction d'un navire. On disait "la ligne de foi". Rien ne pouvait mieux qualifier le projet.
    La liaison Toulouse-Buenos-Ayres s'appuyant sur les étapes suivantes :
    1- De Toulouse à Casablanca : 1850 km en 13 heures de vol ;
    2- De Casablanca à Dakar : 2850 km en un jour et demi de vol ;
    3- De Saint- Louis aux îles du Cap Vert : 800 km en 6 heures de vol (en hydravion) ;
    4- Des îles du Cap Vert à l'Ile de Noronha : 2200 km en trois jours de traversée (par avisos spéciaux) :
    5- De Noronha à Récife : 650 km en 5 heures de vol (par hydravion) ;
    6- De Récife à Rio de Janeiro : 1950 km en 14 heures de vol ;
    7- De Rio de Janeiro à Buenos-Ayres  : 2100 km en 15 heures de vol.

    Pour mesurer l'étonnante audace que représentait un tel programme en 1918, il faut se rappeler que le premier vol de plus de 1000 km en ligne droite avait été réalisé le 20 juin 1916... petite parenthèse : 20 juin 1916 : Premier vol de mille kilomètres en ligne droite effectué de Nancy à Cholm (Pologne) par le lieutenant français Marchal sur un Nieuport. Il survole Berlin pour y lancer des tracts - parenthèse fermée... et que la traversée de l'Atlantique par Lindbergh attendrait encore huit ans. Par ailleurs, le projet Latécoère témoignait d'un examen attentif : avion au-dessus des terres, hydravion pour les liaisons maritimes rapides, avisos pour les grands parcours sur mer. Au total 12400 km en sept jours et demi pour transporter les centaines de milliers de lettres échangées chaque année, par l'Amérique du Sud et l'Europe !

    Le dossier de la liaison France-Maroc-Sénégal-Amérique du Sud fut remis le 7 septembre 1918 à M. Dumesnil, Sous-Secrétaire d’État à l'Aéronautique ; il fut refusé comme utopique. mais son auteur n'était pas homme à renoncer à une idée. Maintenant, il "voyait" la ligne comme un tracé sur une carte et, dès l'armistice conclu, il fondait la Société des Lignes Aériennes Latécoère, dont il confia à Massimi la direction générale.

On s'est souvent demandé pourquoi une telle entreprise de portée internationale, était partie , non pas de Paris, mais de Toulouse. Certains s'imaginent que l'on recherchait avant tout le calme d'une cité provinciale pour effectuer les premiers essais. A la vérité, Latécoère ayant ses usines à Montaudran, il était naturel qu'il installât sur son propre terrain le point de départ de la Ligne. De plus, nous étions en 1918,et la météorologie et la navigation balbutiaient encore. Même pour l'accomplissement de missions de guerre importantes, le pilotage sans visibilité - qu'il s'agisse de vaincre le brouillard ou la nuit -  était rarement pratiqué. Il constituait encore un véritable exploit pour des pilotes expérimentés. Partant du sud de la France, une liaison vers l'Afrique aurait toute chance de bénéficier, pendant la plus grande partie de l'année, de circonstances atmosphériques favorables. Latécoère avait même prévu un aérodrome de secours à Carcassonne, pour le cas où la vallée de la Garonne se trouverait bouchée pendant plusieurs jours consécutifs.

Il ne s'agissait plus que de planter les premiers jalons : Barcelone. Latécoère décida d'effectuer personnellement le voyage d'essai. Le journaliste Georges Prade s'était occupé d'obtenir pour lui, auprès de l'Ambassade d'Espagne, l'autorisation de se rendre par la voie des airs dans la capitale catalane. Six semaines après l'armistice,le 25 décembre 1918, par un matin de Noël, l'industriel prit place à bord d'un Salmson piloté par le capitaine Henri Lemaître. L'avion allait décoller lorsqu'on vit deux silhouettes  se hâter à sa rencontre. C'était les deux officiers en mission aux Usines Latécoère qui tentaient de s'opposer à une entreprise insensée :
    - Ne partez pas ! Vous allez échouer. Nous avons fait suffisamment de vols de guerre pour savoir qu'on ne peut pas voler par tous les temps.
    - On écrit tous les jours, répondit Latécoère. L'avion postal n'aura de sens que s'il décolle tous les jours.
    Et il donna l'ordre de partir.
    A onze heures, le Salmson, qui venait d'éviter de justesse deux obstacles, se posait sur l'hippodrome de Barcelone au milieu des bravos. Lorsqu'il revint à Montaudran, l'industriel fut accueilli sur le terrain par les deux incrédules de la veille :
    - Si vous voulez de nous, nous sommes des vôtres ! lui dirent-ils.

    Après Barcelone, deux nouvelles escales devaient ouvrir la route du Maroc : Alicante et Malaga. Latécoère et Massimi prévoyaient donc quatre atterrissages : Barcelone, Alicante, Malaga et Rabat. Chaque pilote couvrirait deux étapes et changerait d'appareil après chacune d'elles. cette organisation exigeait l’installation de véritables bases avec matériel de réserve et ne pouvait être entreprise qu'avec l'accord des autorités espagnoles. Mais les deux pionniers s'impatientaient.Le 8 février 1919, le premier transport international public avait été réalisé sur Paris-Londres par la Société Farmann. Latécoère et Massimi décidèrent d'aller exposer eux mêmes leur projet au Maréchal Lyautey. Pour que leur entretien prit tout son sens, il fallait que les deux ambassadeurs atterrissent sur l'aérodrome de Rabat.
    A l'aube du 25 février, deux Salmson tournaient au ralenti devant les hangars de Montaudran. Quelques minutes plus tard, le premier décollait ayant à son bord Lemaître et Massimi ; il fut bientôt suivi du second emmenant Junquet et Latécoère. Ni l'un ni l'autre n'atteignaient le Maroc. Massim se ravitailla à Barcelone et fut accidenté à Alicante. Le Salmson heurta un tas de pierres à l'atterrissage et ne put repartir. de son côté, le pilote de Latécoère avait dû se poser à Taragone où il répara une roue et, à l'arrivée à Alicante, il subit la même mésaventure que son compagnon. Victimes d'un terrain impraticable, les deux équipages furent contraints de regagner la France par le train.

    Le 9 mars, Latécoère repartait avec Lemaître.
    Cette fois, il atterrit à Rabat. Coiffé d'un chapeau de paille, tenant d'une main sa serviette et de l'autre une boîte de violettes destinée à la Maréchale, il posa le pied à 17 heures sur le sol marocain. le lendemain, le Maréchal Lyautey chargeait son collaborateur M. Walter, directeur général des postes au Maroc, d'établir une convention qui accordait à la Ligne une subvention d'un million.
    Latécoère ne s'attarda pas au Maroc. IL en repartit le 12 mars à 8 heures du matin et se posa le lendemain, vers 18 heures, sur la plage de Canet, aux environs de Perpignan. Tandis que Lemaître regagnait Toulouse, l'industriel sautait dans le train de nuit pour Paris. Le 14 au matin, il présentait au Directeur Général des Postes à Paris le contrat conclu trois jours plus tôt avec M. Walter.
    La première bataille était gagnée.

N.B. Pour le premier vol Montaudran - Barcelone du 25 décembre 1918, le pilote du Salmson était René Cornemont et non pas Henri Lemaître comme l'écrit Didier Daurat.

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Pierre-Georges Latécoère et René Cornemont posant devant le Salmson 2A2 à leur arrivée à Barcelone le 25 décembre 1918
Que des moustachus ! ...
Admirables !...

Sorry_dsl-5518a   La-sortie-c-par-la-25de
Merci JJ pour cet éclairage !